Voila Biela

Biela 2007« Et si on allait à la S.P.A. aujourd’hui ? » demandai-je à Mai un beau samedi matin. Je feignis une idée spontanée quand en fait je venais de passer une heure à parcourir les annonces d’adoption sur le site web de ‘Pets in Need’.

Parmi les innombrables profiles canins aux descriptions aguichantes et aux photos séduisantes, je revenais sans cesse sur un Eskimo Américain du nom de ‘Pebbles’. Imaginez-vous un chien de traineau, mais en plus petit et plus mignon. Pebbles regardait l’appareil photo avec les yeux d’un lapin illuminé par les phares d’une voiture, mais quelques mots m’intriguèrent : « Pebbles est très active, et adorera faire de longues marches dans la nature avec vous. » J’imaginai des randonnées en forêt, des week-ends de camping, des footings sur la plage. Serait-elle L’Élue ?

« Ramenons-la à la maison, » dis-je après une rencontre de cinq minutes au refuge. La mâchoire de Mai en tomba. Nous n’avions jamais discuté sérieusement de prendre un chien, et de son point de vue cette visite était juste une prise de contact initiale dans l’éventualité que nous adoptions, un jour, un animal de compagnie. Mais la petite boule de fourrure blanche avait conquis mon cœur.

Était-ce la manière dont elle trotta vers moi et se cacha derrière mes jambes ? Était-ce la douceur câline de son pelage touffu ? Étaient-ce ses petits yeux mignons qui me suppliaient de l’emmener loin de ce refuge ? La pauvre chose était captive depuis qu’on l’avait trouvée errant dans les rues avec un collier incrusté de diamants autour du cou, mais sans médaille. Je n’imaginais pas de retourner à la maison sans elle. Ce ne fut peut-être pas le coup de foudre, mais presque.

Le principal obstacle était le gamin handicapé.

Il avait vu Pebbles juste après nous, et il suppliait sa mère. « S’il te plait Maman, je la nourrirai, je prendrai soin d’elle. Je la veux, je la veux, je la veux ! » J’aurais pu prononcer exactement les mêmes mots. Convaincre Mai, cependant, requérait plus de subtilité.
« Tu veux vraiment enlever ce chien des mains d’un petit garçon dans un fauteuil roulant ? » demanda-t-elle.
« Nous pouvons lui donner une meilleure vie, » répondis-je. « Elle a besoin d’activités en plein air. Nous avons un jardin et nous allons souvent faire du camping et des randonnées. Je sais qu’elle sera plus heureuse avec nous ! »
Mai me jeta un regard incrédule, se demandant lequel d’entre nous était le plus têtu.
« Au pire », je conclu, « si ça ne marche pas on peut toujours la rendre. » Rideau. Applaudissements pour cette performance digne d’un Oscar.

Le sort était dans mon camp : le refuge n’autorise l’adoption que si tous les membres de la famille sont présents pour l’entretien, et le père du garçon était introuvable. Nous rentrâmes donc à la maison avec une boule de fourrure de vingt kilos, dont la moitié resta dans la voiture et couvrit l’intérieur noir de notre MINI d’une couche de longs poils blancs. J’appelai le nouveau membre de la famille « Biela », comme la couleur blanche en russe.

Dans les mois qui suivirent Biela creusa des trous dans le jardin, mangea les chaussures de mariage de Mai, et mâchouilla un téléphone portable. L’anxiété de séparation la transformait en Diable de Tasmanie à chaque fois que nous quittions la maison. Ces temps sont bien révolus, mais même au sommet de sa période de bêtises nous n’avons jamais songé à la rendre.

Ce petit chien égaie nos vies.

 

Cédric, 20 août 2013