Arrivée à l’aéroport de Séoul pour mon premier voyage en solo en Asie. Dans la file d’attente pour passer les contrôles d’immigration, je répète ces deux mots encore et encore: «Annyeong haseyo » (Bonjour), « Gamsa hamnida » (Merci). Je peux le faire. Mon attention se tourne vers les personnes qui m’entourent et vers les panneaux écrits dans un alphabet au-delà de ma compréhension. Comment dit-on « Bonjour » déjà?
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Les « Taxis Internationaux » (ce qui signifie: avec des chauffeurs qui parlent anglais) sont probablement deux fois le prix des taxis normaux, mais la possibilité de communiquer avec le conducteur et la certitude d’être déposé au bon hôtel n’ont pas de prix. La taille et l’énergie de cette ville immense commencent à m’atteindre. Pendant le trajet de 90 minutes de l’aéroport à l’hôtel le paysage urbain se dévoile: un océan de gratte-ciels. Dix millions de personnes vivent ici. Un nombre que le cerveau humain a du mal à matérialiser.
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Impression de déjà vu: cette chambre d’hôtel pourrait très bien se trouver à Paris ou à New York. En moins d’une heure je suis douché, changé, et je lis mes courriers électroniques. Pas le temps d’oublier que je suis ici en voyage d’affaires. Message de Jack (mon patron): nous allons ce soir au restaurant avec notre collègue local. J’ai plutôt envie de commander un diner en chambre et de me glisser sous la couette, mais mon personnage d’employé dévoué est aux commandes : je n’ai pas le courage de refuser.
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Beaucoup (beaucoup) de tranches de bœuf barbecue, et plusieurs bouteilles de bière et de soju plus tard, Jack et moi disons à notre hôte DK que la viande est absolument délicieuse mais nous sommes incapables d’en avaler une tranche de plus. A chaque fois que nous étions sur le point de terminer le plat de viande, une serveuse aussi invisible qu’efficaces en amenait un autre. «Êtes-vous prêt pour les nouilles? » demande DK avec un sourire candide. Jack et moi échangeons un regard incrédule tels deux étrangers ignorants que nous sommes, comprenant un peu trop tard que la viande dont nous nous sommes gavés était le premier plat du repas.
Ma tête tourne et je suis sur le point de s’endormir, mais j’arrive à afficher mon bon visage de disciple quand nous nous dirigeons vers un bar pour un dernier verre. Bienvenue dans la Quatrième Dimension: un bar de sports, exactement comme on en trouve aux États-Unis (sauf qu’il se trouve dans les entrailles d’un gratte-ciel géant à Séoul) : des écrans de télévision diffusent des matchs de baseball. Les Coréens, tout comme les Japonais, été contaminés par le virus du baseball suite au contact prolongé avec les américains pendant les guerres ou ils se sont battus ensemble. Dieu seul sait ce qu’ils aiment dans ce sport. Je trouve le baseball tout aussi excitant que le cricket, sauf que le sport britannique porte encore l’aura de règles mystérieuses que personne n’a jamais été capable de m’expliquer. Ajoutez le décalage horaire et l’épuisement d’un vol de 10 heures: le baseball est probablement la dernière chose qui peut m’empêcher de m’endormir. Pendant un bref moment je me réveille avec une pointe d’excitation lorsque je remarque que les Giants jouent. « Go Giants ! » … mais je me rends compte de ce qui aurait été évident si je n’étais pas épuisé, ivre et décalé : il s’agit pas des Giants de San Francisco mais d’une équipe coréenne. Les équipes de baseball locales semblent avoir les mêmes noms que celles des États-Unis. M’Enfin !
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Jack et moi avons planifié notre voyage avec une précision diabolique: après une dure journée de travail au bureau nous disposons d’un week-end entier pour jouer les touristes à Séoul. Comme nous nous préparons à rentrer à l’hôtel en ce vendredi soir, notre hôte DK nous souhaite un bon week-end … mais son patron nous dit: «DK s’occupera de vous dimanche ». Nous acceptons cette invitation avec un peu d’embarras. DK sourit et hoche la tête tout en voyant ses plans de dimanche en famille se désintégrer. Je me dis que si un jour mon patron me fait un coup comme ça, j’espère avoir le courage de lui dire d’aller se faire voir chez les grecs – ou au moins de trouver une excuse plausible pour m’en sortir.
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Est-ce que je suis vraiment prêt à me balader nu avec mon patron et mon collègue que je viens à peine de rencontrer? Trop tard, nous sommes aux bains de la «Colline du Dragon ». Silence inconfortable quand nous entrons dans le bain bouillant. Ricanement nerveux quand nous sortons de l’eau, exhibant ainsi en public nos parties les plus intimes. Personne n’ose regarder directement l’outillage des autres, mais la vision latérale est de rigueur. Eclats de rire quand nous sautons dans la piscine glacée. Imaginez sentir votre corps être instantanément congelé et votre cœur s’arrêter en même temps. La seule chose à faire est de crier et de rire comme un gamin … et de recommencer. La glace est brisée.
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Comment ai-je pu laisser Jack et DK m’emmener dans un musée de guerre? Je déteste les armes, je considère la plupart des militaires sont des brutes, et j’ai de grosses difficultés à justifier la guerre en général. Je traîne les pieds alors que nous marchons à travers les différentes expositions qui visent à attiser la fierté nationale des citoyens Corée du Sud et à leur rappeler les nombreuses attaques et la menace constante de leurs voisins du Nord. C’est alors que je la vois: la statue géante des « Deux frères » pendant la guerre de Corée. Le frère aîné, un officier du Sud, prend son jeune frère dans ses bras, un soldat du Nord. Le sol se fissure entre eux. Vérité et humanité. Amour, douleur et chagrin. Je pleure en silence et tente de dissimuler mes larmes.
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La tour de Séoul, un bâtiment de 237m qui culmine à 480m d’altitude. Vue panoramique sur gratte-ciels à perte de vue. Au sommet: une myriade de cadenas colorés entrelacés afin de créer différentes formes (même des arbres de Noël). Chaque cadenas symbolise la relation d’un couple. Les amoureux viennent à la tour pour attacher un cadenas et ils jettent la clé. La légende dit qu’ils resteront ensemble tant que le cadenas restera attaché. Voilà une tradition bien romantique dans cette mégalopole ultra-moderne.
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Quarante-huit heures plus tard, je suis déjà en route pour l’aéroport. Je suis impatient de rentrer à la maison, mais j’ai à peine eu le temps de gouter à la culture de cette ville et à son mode de vie. Dans un geste audacieux pour prétendre que je ne suis plus un stupide touriste j’ai suivi le conseil de DK en prenant le bus pour me rendre à l’aéroport. C’est plus rapide et moins cher. Les chauffeurs de bus se tiennent mutuellement informés du trafic par des messages radio – ça marche mieux que le GPS. D’innombrables gratte-ciel défilent à la fenêtre du « bus limousine ». Au revoir Séoul, à la prochaine fois…
Cedric, 24 Avril 2011
(Voyage à Séoul en Octobre 2010)
J’adore, le passage des bains de la colline du dragon, ça vaut son pesant d’or. On s’y croit quand tu le racontes.