Que le brouillard se dissipe

Cela fait deux semaines que nous sommes revenus d’une année d’aventures nomades sur les routes d’Amérique Latine pour retrouver une vie sédentaire à San Francisco. Peu importe où nous allons et à qui nous parlons, une seule question est sur toutes les lèvres: « Ça fait quoi d’être de retour ? »

Ma réponse honnête est que je suis ravi. J’aime San Francisco avec ses rues en pente et ses maisons de guingois, ses gens pleins de vie, de couleur et de gentillesse, ses parcs secrets et son climat mystérieux. A peine quelques jours après notre atterrissage j’étais au dojo pour donner une grande accolade venant du cœur à ma Maîtresse de karaté et reprendre mon entraînement en arts martiaux. Il n’y a aucun autre endroit au monde où je préfèrerais vivre qu’à San Francisco.

Pourtant quelque chose ne va pas.

Le calme a disparu. Le cerveau a pris le dessus. Je vis dans un monde de listes de choses à faire. Trouver un logement, emménager, acheter des meubles, trouver une voiture, et puis surtout : gagner de l’argent. Penser, s’inquiéter, chercher, planifier, faire – et recommencer.

Quand nous voyagions au travers de montagnes grandioses dans la cordillère des Andes ou de plaines à perte de vue en Patagonie mon monde était net et précis, plein de soleil et de couleurs éclatantes. Maintenant il est couvert d’un épais manteau de brouillard, comme San Francisco par un matin d’été. En regardant par la fenêtre de notre petite bicoque perchée sur une colline, je sais qu’il y a des maisons, des rues, et même un océan à proximité mais tout ce que mes yeux perçoivent est un flou cotonneux.

Ce brouillard c’est la voix dans ma tête qui parle constamment du passé et du futur, le flot incessant de pensées qui remplit le temps et l’espace jusqu’à ce que le présent n’existe plus.

C’est un truc du cerveau, une illusion optique.

Lentement des silhouettes apparaissent, d’abord des ombres fantomatiques puis des formes, de plus en plus nettes. Comme le vent souffle le brouillard recule telle une portion géante de barbe à papa étirée jusqu’à s’effilocher. Bientôt un morceau de ciel bleu apparaît, suivi de maisons, de rues, de collines, d’arbres, puis des eaux bleues-vertes de la baie de San Francisco.

Je respire profondément et apprécie l’air qui entre dans mes poumons, remplissant d’énergie chaque cellule de mon corps, revigorant mon âme. Les pensées rapetissent et disparaissent dans ma tête alors que je quitte le passé et le futur pour me concentrer sur ce qui se passe à cet instant. Pas de problèmes, pas de soucis, pas de stress, juste de la conscience.

Le brouillard mental a disparu. Le calme prend sa place. De nouveau le monde est éclatant et coloré.

 

Cédric, le 5 août 2012