Que faut-il pour changer une vie ? Une fraction de seconde. Une simple prise de conscience peut modifier le cours d’une existence. Je le sais parce que ça m’est arrivé.
L’année dernière j’avais tout pour moi : propriétaire d’une belle maison au cœur de San Francisco ; professionnel accompli avec une carrière passionnante dans les énergies renouvelables et un salaire confortable ; athlète épanoui tardivement qui fait du sport 4 fois par semaine et qui vient de finir un triathlon olympique ainsi qu’un semi-marathon ; marri chanceux d’une femme aimante et pleine de jeunesse dont la beauté n’a d’égal que les talents pour la cuisine, l’écriture, le théâtre et la chanson ; ami fidèle entouré de citadins branchés aux parcours éclectiques et aux vies intéressantes… J’étais le genre de type qui agace le monde parce que sa vie semble si parfaite. J’avais même négocié un arrangement spécial avec ma boîte pour ne travailler que 4 jours par semaine, dont la moitié à la maison ! Il y avait juste un problème : aussi parfaite que soit mon existence en apparences je me sentais vide, solitaire et déprimé. J’étais défini par un ensemble d’étiquettes (professionnel, propriétaire, athlète, marri, ami …), et je dépensais toute mon énergie pour me montrer à la hauteur des attentes et obligations qui en découlent. Ce qui me permettait de tenir le coup : activité sportive quasi quotidienne et musique en dilettante (des leçons de guitare basse).
En décembre 2010 Mai et moi partons en vacances dans la péninsule du Yucatán. Après les destinations touristiques classiques (Tulum, Chichen Itza, Merida) la dernière partie du voyage nous emmène en dehors des sentiers battus, dans une île retirée du nom de Isla Holbox (prononcez « hol-boche »). Ici, pas de voitures : seulement des voiturettes de golf et des quads tout-terrain. Les routes sont en sable. Tout est à distance de marche. La paix et le calme de l’endroit me mettent tout de suite à l’aise. Un matin Mai et moi sommes tous deux dans des chaises longues sur la plage, à l’ombre d’un parasol, chacun écoutant notre musique sur son iPod tout en admirant l’océan. Un homme passe devant nous à vélo avec un chien courant à ses côtés. Je l’ai déjà vu la veille et je le verrai sans doute le lendemain. Mais aujourd’hui je me sens différent. Quelque chose bouge au fond de moi, un nœud dans mon ventre et dans mon cœur disparaît en une fraction de seconde. Je ne suis pas défini par mon passé : chaque jour est un nouveau départ. Même si les choses sont les mêmes en apparence (comme le type sur sa bicyclette), elles peuvent être complètement différentes intérieurement parce que mon être change constamment. Le secret est d’avoir assez d’espace et de calme pour écouter mes sentiments. Brusquement ma vie entière me fait l’effet d’une illusion : le boulot, la maison, l’argent, toutes les étiquettes, toutes les obligations… Fait chier ! Je me retourne vers Mai et lui dis : « Je me verrais bien vivre dans un endroit comme celui-ci. » Elle sourit et me répond: « Je pensais exactement la même chose. ». Je lui souris en retour : « Qu’est-ce qu’on attend ? »
Six mois plus tard nous quittons San Francisco pour un voyage d’un an vers l’Amérique Latine avec nos chiens et nos valises à l’arrière de la voiture. Voici ce que j’écris dans mon journal le 2 juillet 2011, le jour de notre départ :
« Alors il nous aura fallu six mois pour nous lancer dans l’aventure de nos rêves. Six mois pour vendre notre maison, nous détacher de nos vies et de nos identités conditionnées par le boulot et les biens matériels, pour vendre ou donner la plupart de ces biens matériels et nous préparer à partir. Je ne me suis jamais senti aussi vivant. C’est comme si nous avions enlevé de multiples paires d’entraves une par une jusqu’à ce qu’il n’en reste aucune et que nous soyons libres de faire ce que nous voulons, libres d’être qui nous voulons. C’est nous-mêmes qui avions mis ces entraves, et nous seuls avions les clés pour les retirer. »
Plus de deux mois et 6.000km de voyage plus tard, j’écris ces lignes sur les rives du Lac Atitlán au Guatemala, et mon ancienne vie me paraît être un souvenir lointain. Depuis que nous sommes arrivés ici en apparence chaque jour est identique, mais en réalité chaque jour est une expérience entièrement nouvelle. Tout comme mes exercices d’arts martiaux dont la séquence reste la même au fil du temps : c’est moi qui suis nouveau à chaque fois, dans mon corps et dans mon âme. Et ça fait toute la différence.
De temps en temps je panique en pensant qu’un jour ce voyage aura une fin : il me paraît inconcevable de revenir à une vie considérée par la plupart des gens comme « normale ». Mais je sais que l’aventure ne fait que commencer, et l’essentiel est d’en profiter à chaque instant. Comme le dit Paolo Coelho, « le voyage est tout ce que tu as ». Quoi qu’il arrive à l’avenir, cette expérience m’a déjà changé en profondeur. J’ai franchi le point de non retour et le futur est une nouvelle histoire qu’il m’appartient d’écrire.
Cédric, 18 septembre 2011
(Pour suivre notre voyage visitez mon blog de voyage – en anglais)
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