Piratophobie

Aussi loin que remontent mes souvenirs j’ai toujours eu peur des araignées. Je suis âgé de 36 ans, j’ai déjà sauté d’un avion en parfait état de marche juste pour le fun, marché jusqu’au sommet d’un volcan en activité, plongé du haut d’une chute d’eau de 7m, surfé dans le domaine de chasse des requins blancs, mangé une termite dans la jungle, porté un python de 3m autour de mon cou, et conduit à Paris pendant les heures de pointe… alors comment puis-je être effrayé par une simple araignée ? Retour sur image.

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2006 : âge 31 ans. Mai et moi sommes en lune de miel à Fiji et aujourd’hui nous avons décidé de faire une randonnée dans la jungle de l’île luxuriante de Tavéuni. La pluie tombe à verses mais cela ne nous décourage pas car l’air et l’eau sont à plus de 25 degrés. Comme d’habitude je marche de bon pas, ouvrant la piste qui semble n’avoir été utilisée par personne d’autre aujourd’hui. Mon pied droit se pose sur le sol à quelques centimètres d’une araignée ressemblant à une tarentule, suffisamment lourde pour que l’on entende ses pas sur les feuilles alors qu’elle décampe avec toute la vélocité que lui procurent ses huit pattes. Je pousse un cri et fais un bond d’un mètre en arrière, même si la créature est déjà loin. Au bord de la crise cardiaque, je suis bien content d’être en avance sur ma femme : ce cri restera un secret entre la forêt et moi. Je lui raconterai tout ça quand j’aurai recouvré la capacité de m’exprimer.

1987 : âge 12 ans. Je sors pour aller fermer les volets de ma chambre et je me retrouve nez à nez avec une araignée de couleur brune et de 10cm d’envergure, avec un corps rond et de longues pattes. Je pousse un cri, claque le volet contre le mur et prends mes jambes à mon cou. Quelques jours plus tard je joue avec un camarade dans ma chambre. Il marque un temps d’arrêt, regarde le mur et me montre quelque chose du doigt : « C’est ta copine ? » Une araignée noire de 5cm, avec un corps musclé et brillant et de courtes pattes – exactement comme celles qu’on trouve dans les boutiques de farces et attrapes. Mon pote croit qu’il s’agit d’un jouet et avance sa main pour s’en saisir. « Ne touche pas, c’est une vraie ! » Le copain blêmit et ricane, comme s’il n’avait pas les pétoches, alors que l’araignée se carapate sous un poster.

1985 : âge 10 ans. Je partage une chambre avec mon frère Marc (16 ans) dans une maison de location où la famille est en vacances pour quelques semaines. J’ai passé toute la journée et je n’arrive pas à fermer l’œil, ma peau alterne entre chaud et froid malgré les crèmes apaisantes : j’ai un bon coup de soleil. Malgré l’obscurité mon regard détecte une ombre mouvante au plafond. Une araignée. Je bondis hors du lit. Mon cœur bat la chamade. Marc comprend la situation et dit : « C’est comme ça qu’elles font : elles se placent au-dessus de toi, elles visent, et ensuite elles se laissent tomber sur toi pour te piquer. » Je sais qu’il essaie de me faire peur alors je me convaincs qu’il me raconte des salades. Un coup d’œil au plafond : l’araignée n’y est plus ! Un frisson parcourt ma colonne vertébrale et mes battements de cœur s’accélèrent de plus belle. L’ombre noire se déplace maintenant sur mon lit pendant que je me tiens à côté et que j’observe avec horreur.

1982 : âge 7 ans. Mon feuilleton télé préféré est au programme : « Sandokan » (surnommé « le tigre du Bengale »). J’adore les aventures de ce héro pirate au grand cœur – à mi chemin entre Robin des Bois et Jack Sparrow. Il fait nuit noire et Sandokan se cache dans la jungle pour espionner des gars suspects qui préparent un mauvais coup contre Lady Marianne. Dans l’obscurité une tarentule aussi grande qu’une main humaine descend d’une branche d’arbre, suspendue par son fil. Elle se pose sur le bras nu de Sandokan mais il ne remarque rien, trop occupé à espionner les méchants. Mon petit cœur de 7 ans se met à battre plus fort. J’essaie de prévenir mon héro mais il ne peut pas m’entendre. L’araignée pique. D’un rapide mouvement de son épée il se débarrasse de la tarentule. Trop tard ! En quelques minutes une pustule grosse comme un œuf se développe sur son bras et il commence à se sentir mal. Sandokan sauve sa propre vie en décapitant la pustule pour éviter que le venin ne remonte jusqu’à son cœur. Beurk. Pas étonnant que cette scène m’ait donné des cauchemars !

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C’était il y a près de 30 ans et même si je suis maintenant capable de rester calme en présence de la plupart des araignées que je rencontre, au fond de moi je suis encore terrorisé. Et je dois tout ça à un pirate du Bengale dans une série télé italienne des années 70. Merci d’avoir lu jusqu’ici, vous m’avez économisé une séance de psychanalyse. Est-ce que je peux me lever du divan maintenant ?

 

Cédric, 14 septembre 2011