Pendant de récentes vacances dans le Yucatan, au Mexique, je fus témoin d’un dialogue entre un autochtone propriétaire de boutique et un client étranger. Le marchand demanda d’où venait le touriste, et celui-ci répondit « Je suis américain d’origine russe ». L’autochtone hocha la tête en signe de désaccord : « Vous ne pouvez pas être les deux. Si vous êtes né en Russie alors vous êtes russe même si vous avez des papiers américains ». « Je suis un citoyen du monde » réplica le touriste russo-américain, mais cela ne suffit pas a effacer le regard réprobateur du marchand. Cette scène se passait à Mérida, la capitale de l’état du Yucatan, un endroit où les gens sont très fiers de leur ville et de leur héritage culturel. Les boutiques vendent des souvenirs artisanaux et des vêtements traditionnels aux touristes mais ils font très attention à ne pas brader leur identité.
Mais qu’est-ce donc que l’Identité ? Un sujet d’actualité pour moi personnellement car je viens de passer mon entretien de naturalisation cette semaine et normalement je devrais prêter serment pour devenir un citoyen américain dans les 3 mois à venir.
Si l’on se base sur la définition du propriétaire de boutique mon identité devrait être définie par le lieu de ma naissance. Commençons donc par là : Reims, France. Je n’ai que de vagues souvenirs de cet endroit car j’ai déménagé pour la banlieue nord-est de Paris quand j’avais six ans. Durant les 19 années suivantes j’ai aussi vécu à Bordeaux, Toulouse, Tours, Nantes, Cinderford (Angleterre), Rouen, Paris (banlieue ouest), et de nouveau Nantes. Chacune de ces villes a son propre héritage culturel, culinaire et musical, et un accent particulier (sinon une langue différente). En fait j’ai tellement déménagé que mon identité était d’être en permanence le nouveau venu, celui qui utilise des mots étranges et qui parle avec un drôle d’accent. Chacun de ces endroits devint mon chez-moi pour un temps, mais est-ce qu’aucun d’eux m’a empreint de son identité ? Ou bien ai-je plusieurs identités ? Je commence à me sentir un peu schizophrène … et moi aussi. Mais supposons que ces différences régionales soient transcendées par une identité et une culture commune. Pour simplifier disons que j’ai grandi dans un environnement « français ».
Avance rapide jusqu’en janvier 2011. Ma onzième année en Californie – environ un tiers de ma vie dans son ensemble, et deux tiers de ma vie d’adulte. A cet instant, est-ce que mon identité est d’être français, américain, californien, ou bien une sorte de mélange intermédiaire? Essayons de répondre par quelques petits tests : langue, éducation, culture contemporaine, politique et valeurs.
Langue. Le français est ma langue maternelle donc je la parle bien sûr couramment. Est-ce bien le cas ? Après dix ans à parler anglais à la maison et au boulot, je ne parle plus la même langue que les français. Mes phrases ne sont pas structurées correctement, il me manque du vocabulaire, et j’utilise des mots anglais au milieu de phrases en français. Ceci peut être imputé à la paresse et au manque de conversation avec des compatriotes… mais ce n’est pas tout. Une langue évolue. De nombreux mots et expressions ont vu le jour ces dix dernières années sans que j’en sois informé. Je parle le français d’il y a dix ans, et il continue à évoluer sans moi. Du côté de l’anglais je suis maudit également : je connais bien les derniers mots et expressions mais mon accent ne disparaîtra jamais totalement. Contrairement à beaucoup de francophones je fais des efforts pour passer inaperçu mais les gens savent quand même que je ne suis pas né aux Etats-Unis.
Education. La victoire est claire pour le vieux continent. Plus de deux mille ans d’histoire française et européenne contre 200 ans d’histoire américaine. Vingt ans passés dans la moulinette de l’Education Nationale. Je frime un peu, ça doit être mon côté franchouillard… quoique les français et les américains soient tout autant réputés pour leur arrogance 🙂
Culture Moderne. Très dur: vous pouvez me questionner sur la culture Pop de la France dans les années 80 et 90… et sur celle des Etats-Unis depuis le début du nouveau millénaire. Mais je ne connais pas la dernière vedette de la chanson française, et je n’ai qu’une très vague idée de ce qui était en vogue aux US dans les années 80 (en dehors de ce qui a filtré au travers de la télé, des films et de la musique).
Culture Sportive. J’en rougis de honte. En France je me fichais complètement du foot, et aux Etats-Unis je ne m’intéresse ni au football américain ni au baseball. Cela fait de moi à la fois un mauvais français et un mauvais américain. En tous cas je dois confesser que lorsque j’ai regardé les Jeux Olympiques de Beijing il était bien plus amusant de supporter les USA que la France : il y a beaucoup plus de médailles !
Politique. J’essaie de suivre l’actualité en France et en Amérique, et les deux peuvent être bien déprimants. Je fus honteux et révolté quand la France lança une vague de répression sur la minorité des Roms, et quand l’Arizona passa la fameuse loi controversée qui ciblait la minorité mexicaine. J’ai pleuré de chaudes larmes de joie quand le Président Obama fut élu, et je compte bien profiter de mon droit de vote dès que je l’obtiendrai. En tant que français à l’étranger je ne peux voter que pour les élections présidentielles – et je le fais.
Valeurs. C’est une question difficile. « Liberté, Egalité, Fraternité. » Rien à redire. « Vie , Liberté et Recherche du Bonheur. » Que des bonnes choses également. En surface toutes ces valeurs sont formidables et il n’y a pas de grande différence mais essayons d’approfondir quelque peu. En France la quête de l’Egalité mène au refus de reconnaître que chacun est différent. Les minorités n’ont pas d’existence officielle, tout le monde doit être français sans distinction. Aux Etats-Unis la quête de la Liberté est trop souvent utilisée comme une excuse pour justifier des politiques qui réduisent le rôle du gouvernement en faveur des nantis et des groupes industriels et financiers, contre les intérêts des gens ordinaires.
Quelle est donc mon Identité ? Après avoir écrit des pages de réflexions sur ce qui me rend plus français et ce qui me rend plus américain, une seule conclusion s’impose : mon identité c’est d’être les deux … et en même temps d’être ni l’un ni l’autre. Après ma cérémonie de naturalisation dans quelques mois je serai officiellement un américain. Mais ici je serai autorisé à être un français-américain. Tout comme des millions d’immigrants avant moi, je serai un américain mais je garderai une partie de mon identité. Je rejoindrai les innombrables italiens-américains, irlandais-américains, africains-américains, mexicains-américains, vietnamiens-américains, chinois-américains et les autres minorités des Etats-Unis.
Je suis fier d’un pays qui autorise l’expression de ces différences, qui les accepte et qui les respecte. C’est ce qui fait des Etats-Unis d’Amérique un grand pays : il se renouvelle en permanence par la diversité et l’immigration. La prochaine fois que je voyage et que quelqu’un demande d’où je viens, je serai fier de répondre avec mon air de James Bond 007 : « Américain. Français-Américain. »
Cédric, 23 janvier 2011
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