Qu’est-ce qui fait un ami ? Question rhétorique, pourrait-on dire. Tout le monde sait qu’un ami c’est quelqu’un qui est là pour vous soutenir quand vous avez besoin de lui. Mais si c’est vraiment aussi simple, pourquoi il semble t-il tellement compliqué de se faire de nouveaux amis ? Pourquoi faut-il tant d’efforts pour garder ses amis ? Pourquoi voit-on des amitiés partir à la dérive ou s’évaporer ? Comment peut-on sentir un lien immédiat avec quelqu’un que l’on vient de rencontrer, sans rien demander en retour ? Comment peut-on parler à un ami que l’on n’a pas vu depuis de nombreuses années, et se retrouver comme s’il ne s’était écoulé que quelques jours ? Je n’ai aucune vérité universelle à offrir, seulement quelques pensées à partager, basées sur l’expérience incommensurable d’un homme de 36 ans, qui déménageait vers nouvelle ville tous les 2 ans étant gamin, et qui à l’âge adulte a choisi de s’expatrier et de vivre à environ 9.000km de son pays de naissance. Tout ceci me qualifie en tant qu’expert en amitiés … ou au moins en perte d’amitiés.
Si l’amitié est basée sur l’entre-aide mutuelle, alors on devrait se faire des amis plus fréquemment en cas de besoin. Mais je ne me souviens pas d’une seule d’amitié qui se soit créée de cette façon. Evidemment les liens se renforcent quand un ami est là pour vous aider dans les moments difficiles, mais l’amitié ne semble pas être créée de cette manière. L’ami défini comme la « personne sur qui on peut compter en cas de besoin » ressemble bien à un cliché.
Il doit y avoir quelque chose d’autre qui déclenche l’amitié. Examinons une autre croyance largement répandue : les amis ont beaucoup de choses en commun. Dans le monde des réseaux sociaux sur Internet, des algorithmes informatiques peuvent même suggérer des candidats qui seraient de bons amis: n’est-on pas fait pour s’entendre si l’on aime les mêmes livres, films, émissions de télévision, si l’on est tous deux amateurs de randonnée et de voyages, et si l’on aime boire des cocktails sur la plage ? La raison me dit que c’est une évidence mais mon cœur crie à la trahison. Pourquoi voudrait-on une copie de soi-même pour ami ? C’est le meilleur moyen pour éviter de découvrir de nouvelles opinions et de vivre de nouvelles expériences. J’appelle ca de manière plus directe : la mort de l’âme. Un ami c’est quelqu’un qui me donne son point de vue sur le monde et enrichit ainsi mon univers. Nous faisons du progrès : j’ai maintenant près de 6,7 milliards d’amis potentiels. Qui vais-je appeler en premier ? Ajoutons une distinction importante : un ami devrait également respecter mon point de vue du monde, donc cela réduit la liste de façon spectaculaire : plus que 2 milliards de candidats, quel progrès !
Je suggère une théorie différente : un ami est une personne qui me voit tel que je suis, sans me juger, sans essayer de me faire changer. Quand je suis avec un ami, je peux être moi-même parce qu’il n’y a aucune attente sur ce que je devrais être, comment je devrais me comporter, ce que je devrais dire ou faire. Quand je suis avec un ami, le mot « devoir » n’existe pas. Nous sommes connectés à un niveau différent – qu’on pourrait appeler « l’âme » ? Cette connexion ne peut s’expliquer ou se rationnaliser : elle peut seulement être vécue. Vous savez quand cela vous arrive. Voilà comment on peut retrouver un ami de longue date après de nombreuses années et se sentir aussi proche qu’au « bon vieux temps ». Comme si vous n’aviez changé ni l’un ni l’autre … même si en vérité vous avez changé tous les deux. Tout le monde change, ainsi va la vie. C’est notre connexion à l’autre qui peut rester la même, à condition qu’elle soit fondée sur une acceptation totale de l’autre. Peu importe le temps passé et l’eau qui a coulé sous les ponts. Ce qui compte, c’est le présent. C’est là que vit l’amitié.
Une telle amitié est si pure et délicate qu’elle peut facilement être brisée. Dès qu’un ami pense que vous devez vous comporter d’une certaine façon, cette connexion si profonde a disparu : jugement et attentes prennent le dessus. L’attitude de votre ami a changé : au lieu de vous accepter complètement, il s’attache à une certaine idée de vous qui n’est plus vous. Lorsque ce changement se produit, votre ami ne voit plus votre essence véritable : vous devenez à ses yeux la somme de vos expériences passées, une créature prévisible. « Il est comme cela Cédric, je le connais depuis bien longtemps »: c’est la mort d’une amitié. Je ne suis pas défini par mon passé ; je n’existe que dans le présent. Je dois être fidèle à moi-même, et je ne peux laisser quiconque me définir, même avec de bonnes intentions, même sur la base de ce que je fus un jour.
Si l’amitié est tuée par les attentes, alors appeler quelqu’un votre « ami » ou votre « meilleur ami » pourrait détruire la connexion pure et fragile que vous avez simplement et innocemment identifiée. L’amitié est comme le silence : si on proclame son nom, elle disparait. Mais nous adorons étiqueter les choses et la société nous dit de nommer et de classer tout ce qui nous entoure, surtout les gens. Alors nous les appelons nos amis, et avec ce mot nous plaçons sur leurs épaules le poids de nos attentes. Maintenant que nous sommes amis, ils doivent être là pour nous quand nous aurons besoin d’eux. Ils peuvent avoir à nous rendre service au nom de cette amitié, même contre leur gré. Maintenant ils doivent agir de la même manière que dans le passé, être la même personne envers qui nous nous sommes pris d’amitié. Leur âme meurt, ils cessent d’être une vraie personne – en évolution constante – et ils deviennent l’image qu’ils sont censés donner. Quelle ironie : quelqu’un qui vous appelle son « Ami » pourrait en fait vous demander de vous trahir.
« If you love somebody set them free » dit la chanson. Peut-être que pour garder nos amis nous devons les libérer de nos attentes, de nos étiquettes et de nos jugements. Les voir tels qu’ils sont et non tels qu’ils furent. Libres d’être fidèles à eux-mêmes.
Cédric, 10/4/2011
Dédicace et remerciements à RevZo pour ses enseignements spirituels.
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