L’Eau et l’Huile

« Est-ce qu’on vous a parlé de l’eau ? » me demanda l’adolescent à la réception de l’hôtel hier soir. Je fis non de la tête avec un regard vide. Il expliqua qu’il n’y aurait pas d’eau courante depuis ce matin 8 heures jusqu’à demain matin 7 heures. J’accueillis la nouvelle par un haussement d’épaules : c’est juste pour un jour, il n’y a pas mort d’homme. De toutes façons nous buvons de l’eau en bouteille – une précaution pour réduire notre exposition aux bactéries locales.

Il est 17h et j’ai baigné dans mon jus toute la journée. Température ambiante : 30 degrés. Taux d’humidité : 75%. Je sens ma propre odeur corporelle, et ce n’est pas une expérience agréable. Faire mon conditionnement d’Ars Martiaux était sans doute un peu fou dans de telles circonstances mais je suis privé de sport depuis plusieurs jours : le désir d’un entraînement a pris le dessus sur la peur du parfum d’aisselles. Maintenant il n’y a plus d’échappatoire : il faut que je prenne une douche non seulement pour moi-même mais aussi pour tout individu dans un rayon de 3 mètres, ce qui peut rapidement devenir une foule dans une ville aussi dense que Carthagène.

Je demande au personnel un seau d’eau. Ils ont accumulé des réserves du précieux liquide dans de grands tonneaux afin de pouvoir subvenir aux besoins essentiels de leurs clients, comme remplir le réservoir des toilettes ou faire des ablutions. Cinq minutes plus tard je suis debout dans la douche avec les pieds dans un seau. Comment suis-je sensé m’y prendre au juste ? Je décide d’utiliser une bouteille vide pour me verser l’eau sur la tête. Ça devrait marcher.

Ces derniers jours je me suis lavé les cheveux au savon : j’ai été assez bête pour ranger le shampooing dans une valise qui est maintenant dans la voiture, au sein d’un container scellé paré à embarquer dans un cargo. Heureusement hier j’ai acheté une bouteille de shampooing à la boutique du coin. Du shampooing pour bébé : le seul truc qui ne semblait pas trop chimique. Après m’être mouillé les cheveux à l’aide de la bouteille et du seau, je verse du shampooing. Le liquide est collant et ne mousse pas du tout. J’en verse plus. À présent mon cuir chevelu est tout graisseux. Qu’est-ce que c’est que ce shampooing ? En proie au doute, je relis l’étiquette attentivement : de l’huile pour bébé !

Quelques minutes et trois savons plus tard, l’huile a presque disparu et je suis presque propre. J’aperçois mon reflet dans le miroir : mes cheveux ont le même aspect brillant que ceux des stars de ciné dans les vieux films en noir et blanc. Je me demande si eux aussi utilisaient de l’huile pour bébé.

 

Cédric, 9 février 2012