L’année dernière j’ai participé à un atelier spirituel, avec une douzaine d’autres personnes. Quand le moment de la pause déjeuner arriva notre professeur proclama une règle : interdiction de parler pendant les 20 prochaines minutes. Moi qui me réjouissais à l’idée de discuter des expériences de la matinée avec les membres du groupe, je fus un peu déçu. Je soupirai, sortis mon sandwich de sa cellophane, et commençai à manger. Je me levai et me mis à aller et venir dans la pièce pour me dégourdir les jambes. Petit à petit la frustration initiale fit place à une sensation de paix et de relaxation. Jamais jusqu’à présent je ne m’étais trouvé dans un espace confiné avec 12 autres personnes sans qu’un seul mot ne soit échangé pendant 20 minutes. Progressivement le bien-être devint plus profond : pas besoin de penser à quoi dire, ou de prêter attention aux histoires de quelqu’un d’autre. Pas de stress. Pas d’anticipation. Pas de pensées. Juste le silence. Bientôt je commençai à me caler sur la fréquence des sensations au sein de mon corps. Le sandwich au thon et la poire asiatique se transformèrent en un festin que je savourai lentement et pleinement. Je percevais le son clair de mes dents mâchant chaque bouchée alors que les saveurs se bousculaient sur mes papilles et provoquaient une explosion sensorielle.
***
Mai et moi venons de passer un moment merveilleux à admirer les paysages andins et la ville de Quito depuis la crête d’un vieux volcan qui la surplombe de 1.150m. Les mots ne peuvent décrire cette sensation. A présent nous sommes assis dans un « œuf » : nous prenons le téléférique pour revenir en ville. Deux blondes platinées sautent à bord et s’assoient en face de nous juste avant la fermeture des portes. Immédiatement elles se mettent à parler. Je suppose qu’elles sont danoises, peut-être suédoises, je ne suis pas certain. Le flot de paroles ne s’arrête pas. Inconscientes de la beauté de la nature qui nous entoure durant notre descente le long des pentes d’un ancien volcan, les filles discutent. Mai se racle la gorge plusieurs fois, un signe que nous aimerions un peu de silence. Elles ne remarquent rien. Finalement après des minutes longues comme des heures, le bavardage s’arrête : une des danoises sort son portable et se met à taper frénétiquement. Clic – clic – clic – clic – clic – clic. Je m’émerveille qu’un clavier aussi minuscule puisse faire autant de bruit. La conversation reprend, tout aussi insupportable qu’avant. Une autre éternité passe avant que nos prières soient enfin exaucées : le silence envahit l’espace restreint de l’habitacle. Respirant profondément, je profite de la vue en paix, enfin ! Une minute plus tard, apparemment terrifiées par le son du silence, les filles reprennent leur papotage de plus belle. Je détecte des intentions meurtrières dans les yeux de Mai, le fantasme d’ouvrir les portes et de jeter les deux pétasses par dessus bord. Je commence dans ma tête une liste des choses que je déteste le plus chez les touristes, mais les paroles sages de mon guide spirituel me reviennent à l’esprit : « Quand tu n’aimes pas une situation tu n’as que trois choix possibles : l’accepter, la quitter, ou la changer. »
Je me racle la gorge et me penche en avant : « Excusez-moi. Parlez-vous anglais ? » Les danoises acquiescent, donc je poursuis : « Pourrions-nous s’il vous plaît avoir quelques minutes de silence pour profiter de l’une des vues les plus belles du monde ? » C’est un peu plus poli que « Fermez vos gueules » mais l’effet est le même : le duo est en état de choc. Sans un bruit, elles se détournent de moi et regardent vers l’extérieur. Peut-être qu’elles remarquent enfin la beauté saisissante qui les entoure. Ou peut-être qu’elles son juste en train de réfléchir à mon extrême grossièreté. Ça m’est bien égal.
Le silence qui s’ensuit est un délice de tranquillité auquel se mêle un petit goût de victoire.
Cédric, 15 mars 2012
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