Nous conduisons vers la frontière entre le Guatemala et le Salvador. En dépit de ma vitesse rapide un pickup nous dépasse avec impatience. Un homme grand et fort à la peau claire se tient debout à l’arrière. Il tient quelque chose de brillant dans sa main droite : un énorme revolver. Les histoires sur les bandits d’Amérique Centrale lues dans les livres de voyage défilent dans ma tête : ils interceptent les voitures, soulagent les occupants de leurs biens, et parfois volent aussi leur véhicule. Normalement ça se passe sans violences mais une fois de temps en temps ca dégénère, surtout si les victimes essaient de résister. Nous n’avons pas d’assurance automobile (je n’ai pas trouvé de contrat temporaire qui nous couvre au Guatemala avec une voiture étrangère). Je prie en silence pour que le pickup ne nous attende pas un peu plus loin sur la route, dans un endroit isolé.
Il ne nous attend pas.
Peut-être que l’épaisse couche de saleté sur notre 4×4 l’a bien camouflé. Peut-être que les bandits ont une vue tellement mauvaise qu’ils n’ont pas remarqué nos plaques d’immatriculation californiennes. Peut-être qu’ils évitent de dérober les étrangers le Dimanche parce que ça porte la poisse. Je ne saurai jamais avec certitude ce qui a écarté le danger de notre route, mais j’ai bien envie de brûler une chandelle pour mon ange gardien.
Je repense au revolver. Fabriqué aux USA; vendu dans un Etat dont les lois sur les armes à feu sont très souples ; payé avec de l’argent venu du trafic de drogues ; passé de manière clandestine au Mexique puis au Guatemala. Combien d’innocents a t-il tué ? Combien de vies a t-il menacé ? Combien de personnes ont-elles participé à cette longue chaîne qui mène à la mort ? Le personnel du fabricant d’armes, le marchand qui a vendu le revolver, l’intermédiaire qui l’a acheté, l’autre intermédiaire qui lui a fait passer la frontière… mais aussi le député qui soutient le maintien des lois laxistes sur les armes à feu, le lobbyiste qui a rempli les caisses de du député pour la campagne électorale, le membre de la NRA dont l’argent va droit au lobby, le fumeur de pétards Américain qui finance les cartels et leur trafic d’armes à chaque fois qu’il roule un joint… la liste continue sans fin. Chacun pense qu’il est innocent car il n’est qu’un maillon de la chaîne. Et pourtant chacun est coupable de ne rien faire pour la rompre.
Je tente d’imaginer le même homme à l’arrière du même pickup armé d’une batte de baseball ou même d’une machette : ce serait beaucoup moins effrayant. Mais tant que le bandit terrorise les gens au Guatemala, loin du sol Américain, personne ne s’intéresse ni à lui ni à son revolver.
Cédric, 1er octobre 2011
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