Le Périple de Ganesh

« Laquelle préférez-vous ? » demande le propriétaire du magasin avec un anglais parfait et un fort accent indien. A la fin de notre visite du site archéologique de Mahabalipuram, notre hôte et collègue Srini a insisté pour nous offrir à Mattias et moi-même une statuette taillée à la main comme souvenir de notre premier voyage en Inde. Mon regard se promène parmi la multitude de figurines sur les étagères et montre du doigt un petit Ganesh rouge, le dieu à la tête d’éléphant, celui qui élimine les obstacles, ma divinité hindoue préférée. Le regarder me met en joie sans que je sache pourquoi. La tête du marchand oscille d’un côté à l’autre en signe d’approbation. « Quel bon choix ! C’est un beau Ganesh fait de granite rose massif. » Mattias choisit à son tour une statue — le Bouddha – et Srini commence à négocier le prix pendant que je m’émerveille de nos différences culturelles. En Occident il serait bien étrange d’acheter un cadeau à quelqu’un et de marchander en leur présence mais ici c’est une partie normale du processus d’achat. Bientôt le prix amiable est convenu, les cadeaux sont payés et Srini nous raccompagne à notre hôtel de chic dans la ville bouillonnante de Chennai.

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« C’est le 70ème anniversaire de ma Tante, je voudrais lui faire un cadeau. Que penses-tu de ceci ? » Mai tient dans sa main le petit Ganesh rose. Nous sommes en train de faire nos cartons et de mettre notre maison en vente avant de partir pour un voyage d’un an sur les routes d’Amérique Latine. Une partie de cette démarche consiste à nous détacher des biens matériels mais j’hésite : j’aime vraiment ce petit Ganesh. Il trône sur mon bureau depuis 6 mois et je suspecte qu’il a éliminé bon nombre d’obstacles. Une part de moi n’arrive pas à le laisser partir, mais nous avons déjà un autre Ganesh qui va venir avec nous sur la route. La raison l’emporte sur l’émotion. Je hoche la tête : « Oui, bonne idée. Je suis sûr qu’il lui plaira. Je l’ai ramené d’aussi loin que l’Inde, tu sais. » En quelques jours Ganesh s’achemine vers Paris, là où vit la Tante Nathalie.

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« Il y a un cadeau pour toi ! » s’exclame Mai en cherchant dans son sac. « C’est de la part de Nathalie. » Le frère de Mai vient d’atterrir en provenance de France, ses valises pleines de présents de la part de la famille en Europe. La main de Mai sort du sac avec le petit Ganesh rouge que je reconnais aussitôt, incrédule. Après son exile à Paris le dieu à la tête d’éléphant a éliminé tous les obstacles et parcouru près de 9,000km pour retrouver sa place sur mon bureau.

Mon cher Ganesh, je suis content de te revoir. Tu peux rester aussi longtemps que tu le souhaites.

 

Cédric, 12 Août 2012