L’Épreuve du Temps

J’ai décidé de déballer mes valises pour la première fois depuis notre départ de San Francisco il y a quatre mois. J’ai envie de vivre pour quelques temps à Santa Teresa, une petite ville au bord de la plage dans un recoin isolé du Costa Rica. Vider les bagages est un acte particulièrement symbolique et je savoure ce rituel qui marque mon retour de la vie de nomade à la vie sédentaire. Une odeur de Roquefort parvient à mes narines : de la moisissure. Le microorganisme intelligent a choisi les affaires que je n’utiliserai jamais dans un climat subtropical : une doudoune, des chaussures de soirée et un coupe-vent de sport. Ces accessoires me semblaient nécessaires quand je les ai emballés mais l’expérience montre leur nature superflue.

Je nettoie les vêtements contaminés a l’eau chaude et je les fais sécher dans la brise du matin. Pete, l’expert local en piscines, est en train de réparer les dommages causés par la tempête de la nuit dernière – la plus violente de l’année – qui a changé l’eau cristalline des piscines de la ville en boue vaseuse. « Les vêtements moisissent ici. On n’y échappe pas, il faut juste l’accepter ! » dit Pete. « On a tellement d’humidité et de chaleur que la plupart des choses sont à jeter deux fois plus vite qu’ailleurs. Regarde cette maison : la construction s’est achevée il y a à peine trois mois ! » Il a raison : bien que le bâtiment soit récent, il ne paraît pas neuf. Les pluies diluviennes et le soleil de plomb ont déjà commencé à faire effet. Quelques taches trahissent des fuites d’eau. Les fenêtres à la structure en bois frottent au lieu de glisser – elles se dilatent et se contractent sans doute au rythme des changements d’humidité et de température. Le four tout neuf Made in Italy refuse obstinément de fonctionner. Il y a quelques jours nous avons rencontré un propriétaire qui repeint toutes ses maisons de location chaque année après la saison des pluies. Suivant son inspiration artistique, il essaie une nouvelle couleur à chaque fois !

En contemplant la piscine de boue, la maison aux taches d’humidité et mes vêtements moisis, je me souviens d’une vérité très simple : toutes les chose matérielles sont éphémères. Une réalité tellement facile à oublier quand on habite dans une ville européenne ou américaine au milieu de vieux bâtiments, enveloppé dans le confort de son chez soi, entouré de meubles élégants et de machines modernes, bercé dans l’illusion que le succès d’une vie se mesure par la quantité de trucs que l’on possède. Mais ici, dans un coin de paradis caché entre mer et jungle, l’illusion est beaucoup plus difficile à croire : avec de la patience on peut quasiment voir les objets se décomposer. Les ticos, comme les costaricains se surnomment eux-mêmes, vivent une vie simple. Elle a un nom – « Pura Vida » – deux mots que l’on entend à longueur de journée. C’est un état d’esprit : vivre simplement, passer du bon temps avec les amis et la famille, apprécier et respecter la nature.

Curieusement, bien que la durée de vie des maisons, des voitures, des machines et même des ordinateurs soit très réduite dans la péninsule de Nicoya, l’endroit est également l’une des rares « Zones Bleues » de la planète où les gens vivent plus longtemps qu’ailleurs, un terreau fertile pour les centenaires. Un homme costaricain de 60 ans a deux fois plus de chances d’atteindre 90 ans qu’un homme vivant aux Etats-Unis, en France ou même au Japon. Les scientifiques expliquent cela par une liste de 10 ou 20 raisons… ce qui veut dire qu’en fait ils ne comprennent pas. Je crois sincèrement que l’esprit de la « Pura Vida » aide les ticos à éviter le stress et à vivre une vie plus longue et plus heureuse. Le secret du bonheur et de la longévité serait-il simplement de se concentrer sur être au lieu d’avoir ?

 

Cédric, 20 novembre 2011