Infusion Indienne – La Cuisine

Premier déjeuner à Chennai – le décalage horaire s’ajoute à mon appétit habituel pour la cuisine indienne. Au contraire du chauffeur de taxi, le serveur maîtrise parfaitement l’anglais. Ceci, avec le décor moderne et sophistiqué du restaurant, me rappelle que l’endroit attire la clientèle étrangère, en dépit des quelques locaux assis aux autres tables. Je commande un curry dont je n’essaierai même pas de me souvenir du nom, et je le demande « moyennement épicé ». A San Francisco je préfère « bien épicé » mais nous sommes au pays des plats relevés et je ne souhaite pas pleurer comme un bébé et courir vers l’extincteur dès mon premier repas en Inde – j’ai tout mon temps pour çà. Après une brève attente mon déjeuner arrive. Il explose de riches saveurs qui remplissent ma bouche et ravissent mes papilles. Le niveau d’épices est parfaitement à mon goût. Mais le serveur aurait-il oublié ma boisson ? Comme s’il lisait dans mes pensées, il apporte le thé dans une chouette petite tasse en métal. J’en bois une gorgée … ce thé est tiède et a le goût insipide d’une eau à peine parfumée au citron. Mon cœur s’arrête. Je viens de boire le liquide rince-doigts ! Alors que mes chances de tomber malade s’envolent et crèvent le plafond, j’affiche un degré de phlegme à faire pâlir un pair du royaume britannique. Je pose le rince-doigts lentement comme si de rien n’était et je continue à manger mon curry. Le serveur sort de la cuisine avec une théière à la main.

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Pour mon dernier dîner a Chennai j’ai choisi le restaurant « Raintree » situé dans le fameux « Taj Hotel ». Le menu de boissons affiche sans complexe des cocktails à $10 – heureusement que je suis en déplacement professionnel tous frais payés ! Le serveur amène l’assortiment d’entrées accompagné d’une palette colorée de sauces mystérieuses … et d’une petite tasse en métal qui m’est maintenant familière. « Rince-doigts » dit le serveur. Je souris intérieurement à la pensée des milliers d’étrangers abrutis qui y ont goûté. Est-ce que le personnel de ce restaurant suit une formation spéciale afin d’éviter aux hommes blancs de se ridiculiser en public ? Après une heure à festoyer sur des plats succulents je desserre discrètement ma ceinture et je me rends compte que les vestiges de ces quelques jours à Chennai ne seront malheureusement pas limitées à de bons souvenirs. Le serveur apporte l’addition et quelques amuse-bouche verts qu’il décrit comme un trou normand. Pourquoi pas ? J’en prends un en bouche et je commence à mâcher. Cette chose a la texture et l’épaisseur d’une feuille de bananier : j’ai beau mastiquer furieusement il n’y a pas moyen de la couper ou de la réduire à quoi que ce soit que je puisse avaler. Après cinq minutes d’efforts l’envie de cracher dans les plantes vertes se fait pressante. Il semble bien plus facile d’avaler l’embarras que d’avaler cette chose innommable. Ma mâchoire commence à surchauffer : l’effort s’intensifie. Finalement le trou normand descend le long œsophage … j’entends un bruit sourd quand il tombe au fond de mon estomac.

Allez, un petit coup de rince-doigts pour faire passer tout çà?

 

Cédric, 4 juin 2011
(Voyage à Chennai en décembre 2010)