Infusion Indienne – Bollywood

Cela fait maintenant une semaine que je suis à Chennai et ce soir c’est LA grosse fête. Mon voyage professionnel coïncide avec la soirée de fin d’année de la boîte. Les fêtes d’entreprise je connais, alors je me prépare pour le scénario classique : bouffe, boissons, discours ennuyeux, et une poignée d’individus avec quelques grammes d’alcool dans le sang faisant des choses qu’ils regretteront pendant longtemps. Déjà vu, déjà fait. Alors que je ressasse tout ça, l’animateur annonce la première attraction de la soirée : des danseurs montent sur scène et réalisent un numéro spectaculaire dans le pur style « Bollywood », y compris les costumes. Wow ! Ça ne ressemble vraiment à aucune des fêtes d’entreprise auxquelles j’ai participé !

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Sur la scène Mansour, le PDG, me dévisage et me montre du doigt . Et merde ! Je suis donc un « volontaire » pour participer au premier jeu pour adultes de la soirée (jusqu’à présent les jeux étaient juste pour les enfants – une astuce pour faire en sorte que les adultes se décontractent et croient qu’ils sont hors de danger). Chacun des participants se voit remis un ballon de baudruche et le but est de faire la course jusqu’à l’autre bout de la scène en tenant cet accessoire entre tes genoux. Fais tomber le ballon : tu perds. Touche le ballon avec les mains : tu perds. Tombe la tête la première : tu as l’air d’un con devant 50 appareils photo numériques. Nous commençons par une course d’entraînement, juste pour se mettre en jambes, puis nous formons une ligne pour le départ de la vraie course. A vos marques, prêts, PARTEZ ! La foule applaudit et s’amuse bien devant le spectacle d’une poignée de cadres à haut salaire en train de marcher en canard avec des ballons de baudruche entre les jambes. À la moitié du parcours la plupart des concurrents ont déjà perdu leur ballon… mais je suis toujours en course, bataillant avec le collègue qui doit me ramener à l’hôtel dans quelques heures. Si je finis devant lui est-ce que je devrai rentrer à pied ? Pas le temps de penser aux conséquences : le moi compétitif prend le dessus. Mes genoux trouvent une position magique pour tenir le ballon sans le faire éclater, et je sprinte les 5 mètres jusqu’à la ligne d’arrivée. Une performance athlétique de niveau mondial ! Je reçois ma récompense (un kit-kat) et retourne à mon siège auréolé par une victoire avec un arrière-goût de honte. Plus important que la barre de chocolat, j’ai gagné le privilège de désigner un des « volontaires » pour le jeu suivant. Ça n’a pas de prix…

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C’est l’heure du discours du PDG. En dehors des formules habituelles telles que « ce fut une année exceptionnelle » et « merci à tous pour vos efforts et pour toutes les choses fantastiques que vous avez accomplies » Mansour continue sur un thème inattendue : il demande aux gens de ne pas travailler trop dur. Comme tout le monde dans la salle je me dis « Wow, quel type bien : il a vraiment notre bien-être à cœur ». Hum… il y a quelque chose qui cloche. J’ai rencontré cet homme il y a moins d’un an et pourtant il semble avoir pris 10 ans depuis, et c’est la même chose pour tous ses proches collaborateurs. Cet appel à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée m’a tout l’air d’un paquet de mensonges joliment enrobé. Comment Mansour peut-il prêcher quelque chose quand son équipe et lui-même montrent l’exemple contraire en travaillant comme des forcenés? Un mot me vient à l’esprit : manipulation. En demandant à chacun de ne pas travailler trop dur Mansour renforce la loyauté et le moral de ses employés, ce qui les fait bosser plus – précisément parce qu’il ne l’a pas demandé. J’ai envie de vomir. Quelque chose en moi vient de se briser et ne peut pas être réparé. Je ne serai plus jamais un engrenage dans la machine d’une entreprise. Tout à coup je me sens étranger à ce qui se passe autour de moi. Est-ce que quelqu’un pourrait me ramener à la maison… ou bien me donner un autre Mojito, ça fera l’affaire !

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Après un autre numéro de danse digne d’une émission téle du samedi soir, l’animateur donne la piste à Mansour pour qu’il démontre une danse traditionnelle de sa contrée natale. Très cool ! D’autres personnes se joignent à lui spontanément et bientôt nous avons 20 à 30 danseurs en action. La moitié d’entre eux connaît la musique et l’autre moitié, dont moi ainsi que tous les occidentaux, essaient désespérément de suivre la chorégraphie. Alcool aidant, c’est l’éclate totale ! Personne n’est jugé, tout le monde s’amuse. Il semble que la danse est tellement au cœur de la culture Indienne que toutes les inhibitions disparaissent instantanément. C’est la première fois que je m’amuse comme un petit fou à une fête d’entreprise, et il s’agit sans doute de la soirée dansante la plus la plus géniale que j’ai jamais connue. C’est Bollywood !

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Il est point d’heure, le moment est venu de retourner à l’hôtel. Le groupe de collègues locaux qui m’ont amené ici se rassemble pour prendre la navette. Sauf un qui va et vient dans le hall en parlant à son Blackberry. 5 minutes, 10 minutes, enfin il a fini… mais maintenant un autre gars est collé à son téléphone. Avant qu’il ait terminé le premier type est de nouveau au téléphone. Environ une demi-heure plus tard tout le monde est prêt à partir – heureusement les téléphones portables ont une batterie limitée. Ne travaillez pas trop, a dit Mansour… ce soir les danseurs n’étaient pas les seuls à se livrer à un numéro bien répété.

 

Cédric, 19 juillet 2011
(Voyage à Chennai en décembre 2011)