Un Flic Au Pérou

Kike se tient sur la plaza, discutant avec son collègue. Ils viennent juste de réprimander un groupe de motards étrangers pour avoir pris un sens interdit. Cusco est un endroit formidable à visiter mais la conduite y est délicate, surtout dans le quartier de San Blas, un labyrinthe de ruelles étroites de pavés en sens unique. Je marche vers les deux hommes en uniforme et leur demande si cette place est un bon endroit pour garer ma voiture. Les policiers semblent serviables alors je poursuis avec ma vraie question : où puis-je trouver un bon hôtel qui accepte nos deux chiens ? Kike feuillète une pile de cartes de visite sorties de la poche de son uniforme et il compose des numéros sur son téléphone portable. En quelques minutes il a trouvé un logement convenable et il dit qu’il va me montrer comment m’y rendre… mais d’abord il faut que j’amène mon véhicule jusqu’ici. Le collègue de Kike l’interrompt : parlant a vitesse accélérée en Espagnol il objecte qu’il faudrait alors que je prenne le sens interdit et ils devraient me verbaliser. Les deux hommes conversent en Quechua pendant quelques secondes puis Kike se tourne vers moi le sourire aux lèvres : « Va chercher ta voiture, je vais bloquer le trafic dans la rue pour que tu puisses passer. » D’instinct je décide de faire confiance à cet homme. Je cours à la voiture, explique à Mai que nous allons prendre une rue à sens unique dans le mauvais sens pour retrouver un ami policier mais ce n’est pas grave car il va bloquer le trafic pour nous. Elle accepte l’explication avec un éclat de rire – peut-être croit-elle que je viens de disjoncter.

Avant que nous prenions le virage fatidique pour entrer dans la rue en sens interdit, un passant agite les bras et remue la tête : « Vous ne pouvez pas faire ça ! » Et bien si, nous pouvons. En tous cas je l’espère. Lentement j’entre dans la ruelle. Mon cœur bat la chamade pendant quelques secondes jusqu’à ce que j’aperçoive la veste jaune fluorescente de Kike et son visage souriant. Il semble ne pas entendre les sons de klaxon venant de l’embouteillage qu’il vient de provoquer pour nous. Nous arrivons sur la plaza et attendons que le policier de courte taille nous rejoigne. Kike et moi parcourons le plan de la ville ensemble et il se rend à la conclusion évidente : « Tu vas te perdre, c’est trop compliqué. » Un bref coup d’œil sur nos sièges arrières couverts de valises lui révèle que nous ne pouvons pas le prendre à bord, alors il improvise une solution : « Je vais trouver un taxi et vous montrer le chemin. Suivez-moi ! » Mai et moi nous jetons un regard incrédule. Nous savons tous deux que Kike s’attend à une sorte de pourboire pour tout ça… mais nous avons vraiment besoin d’aide. Je suis totalement opposé au principe des pots-de-vin, mais serait-ce vraiment un pot-de-vin ? Il n’y a pas de piège, pas d’intimidation et pas de chantage, juste un flic qui se décarcasse pour nous aider. Ma décision est prise : Oui, je peux donner un pourboire à Kike sans enfreindre mes principes moraux. Pendant ce temps il arrête un taxi et saute à bord.

Nous commençons à suivre le véhicule dans les rues en mouchoir de poche de Cusco à bord de notre 4×4 de taille américaine et aux plaques Californiennes, causant la stupéfaction des passants. Les allées minuscules du quartier de San Blas bienôt font place aux grandes avenues autour de la Plaza de Armas. Le taxi s’arrête devant un hôtel. Kike en sort, bondissant, nous fait signe de l’attendre et entre dans le hall. Puis en ressort, bondissant de la même manière, et se pose sur le siège passager. Quelques centaines de mètres plus tard nous nous arrêtons devant un autre hôtel et Kike bondit de nouveau hors de la voiture. Nous réalisons qu’l ne nous a pas trouvé un hôtel : il est en train d’en chercher un. Cette fois-ci il nous fait signe depuis le hall : « Venez donc ! » Il en ressort que l’hôtel a des chambres libres et que le prix est raisonnable mais les lieux ont grandement besoin d’être rénovés. La femme à l’accueil me montre la chambre : petite, obscure, légèrement malodorante, douche vétuste, pas d’accès Internet. Je la remercie et lui dis que je fais réfléchir, ce qui veut comme nous le savons tous les deux qu’elle ne me reverra jamais.

De retour dans la rue je remercie Kike pour son aide et je lui remets l’équivalent de 20 dollars de pourboire. Un grand sourire se trace d’une oreille à l’autre. Il place l’argent dans son portefeuille anémique. Nous nous serrons la main et je remonte au volant. Je m’attends à ce qu’il disparaisse immédiatement mais il paie sa course de taxi et revient vers nous. « Il y a un autre hôtel au coin de la rue, voulez-vous le voir ? » Kike a déjà reçu son pourboire, alors pourquoi continue t-il à vouloir nous aider ? La vérité est simple : l’argent n’a jamais été son vrai mobile. Nous montons l’escalier pour gagner un hall assez louche. « Cet endroit est plus économique ! » Il en rayonne de fierté. Je jette un œil poli à la chambre et me rends compte que malgré les bonnes intentions de Kike nos critères de sélection d’un hôtel divergent totalement.

Nous nous disons au revoir de nouveau, cette fois-ci pour de bon. Il me tape sur l’épaule comme seuls les amis savent le faire, me souhaite une bonne continuation et saute à l’arrière d’un taxi guère plus grand qu’un pot de yaourt. Kike nous fait au revoir de la main jusqu’à ce que la voiture miniature disparaisse au tournant.

 

Cédric, 25 Mai 2012