Rencontres au Guatemala

Inès a pris le bateau depuis le village voisin de San Pedro pour venir faire le ménage hebdomadaire de notre maison de location à San Marcos, sur les rives du Lac Atitlán. Elle porte le costume traditionnel Tzutujil comme ses ancêtres Mayas qui furent les maîtres de ce monde avant la Conquista. Elle travaille toute la journée pour rendre la maison impeccable. Pas d’aspirateur, pas d’outils perfectionnés : juste un chiffon à poussière, un balais et une serpillère. Elle gagne probablement l’équivalent de quelques Euros par jour mais Inès est reconnaissante d’avoir ce boulot. Son sourire est généreux et authentique. A la fin de la journée elle nous dit au revoir avec une bise, nous souhaite une bonne semaine, et sort de la maison pour rejoindre l’embarcadère afin attendre le prochain bateau-taxi. Il pleut à verses alors elle se couvre la tête et les épaules avec un blouson que nous lui avons prêté et qu’elle n’ose pas enfiler. Un bateau passe sans s’arrêter – il est probablement au complet. La pluie se fait plus forte à chaque minute. Un second bateau apparaît. Nous crions, sonnons une cloche, brandissons des serviettes de couleur… mais il ne s’arrête pas. Les capuches de l’équipage leur bloquent sans doute la vue sur les côtés. Inès décide de marcher jusqu’au village car tous les bateaux s’y arrêtent. Je lui propose un chapeau mais elle préfère se couvrir la tête avec un simple sac plastique. Sous la pluie battante elle se met à monter les 140 marches qui mènent à la rue.

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Albert entre dans la boutique d’alimentation de San Marcos mais son odeur est arrivée bien avant lui, une proclamation de son identité confirmée par ses vêtements sales de style hippie. Tout en lui hurle : « Je suis spirituel. Je vis une existence simple. Et ça me rend meilleur que vous. » Il tousse bruyamment sans se couvrir la bouche. Je ne sais pas s’il sème de l’amour mais en tous cas il sème des microbes. Je m’enfuis vers le côté opposé de la boutique pour échapper à l’odeur âcre de ses aisselles, en me demandant comment l’absence de l’hygiène la plus élémentaire peut être utile à une quête spirituelle. N’a t-il pas remarqué que même les villageois les plus pauvres sont propres? Inconscient du monde qui l’entoure, Albert sort son portefeuille pour acheter un paquet de müesli.

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Hahakna monte à bord du bateau-taxi avec ses petits-enfants. Elle porte un fagot de bois. Je l’aide à descendre et à s’asseoir, et elle me remercie avec un grand sourire qui éclaire son visage couvert de rides. Elle est belle. Pas le genre de beauté que l’on voit sur la couverture des magazines de mode : la beauté qui vient de l’âme et qui rayonne dans les yeux. J’aimerais graver cette image dans me mémoire pour toujours ; pouvoir fermer les yeux et voir ce visage me sourire quand j’ai besoin de réconfort. Son être tout entier n’est qu’Amour et tendresse. Les petits enfants de Hahakna sont assis à ses côtés, heureux. Malgré les chocs du bateau qui rebondit violemment sur l’eau, dans ses bras le monde est calme.

 

Cédric, 28 septembre 2011