Luis glisse sur les eaux noires de la rivière Napo dans le bassin de l’Amazone. Il est le guide naturaliste pour un groupe de 5 visiteurs venant d’Angleterre, d’Australie et des Etats-Unis. Son père était un professeur venant de la montagne. Sa mère naquit et grandit dans le bassin amazonien. Elle était l’une des étudiantes de son père et leur amour était interdit, mais peu leur importait. Luis fut élevé loin des aras, des anacondas et des piranhas, dans la ville de montagne de Quito, mais il a toujours eu une fascination pour la jungle. Il déménagea pour la ville de Coca et commença à travailler en tant que guide dans le Napo Wildlife Center, la seule loge dans le bassin amazonien qui soit possédée et gérée par la communauté locale. Les bénéfices sont utilisés pour financer des écoles et des cliniques pour tous les villages Quechua des environs. Luis y a trouvé à la fois ses racines et sa nouvelle vie. Alors qu’il rame en souplesse pour faire avancer la pirogue il demeure complètement en éveil, ses 6 sens à la recherche de toute vie sauvage. Parfois il pense à son fils, un des joueurs d’échecs les plus doués du pays dans sa tranche d’âge – seulement neuf ans. Fierté paternelle. Chaleur et humidité dans les yeux. Tout à coup Luis repère la silhouette d’un animal. Il lève le bras, un signal clair aux autres rameurs. La pirogue ralentit et s’arrête à quelques mètres de sa créature préférée dans tout le règne animal. Luis chuchote et montre du doigt la loutre géante de rivière qui les scrute depuis le seuil de son terrier. Son visage s’allume d’un sourire d’enfant. Peu importe combien de rencontres avec les animaux sauvages il a pu faire, la magie ne semble jamais s’épuiser.
***
Maria laisse sa fille conduire aujourd’hui. L’adolescente montre tellement d’habileté et de confiance au volant dans les rues embouteillées de Quito : elle vraiment la fille de sa mère ! Comme Maria ouvre la portière pour monter dans le siège passager elle entend des accès de voix de l’autre côté de la rue. Instinctivement elle s’immobilise, lève la tête et observe. On dirait qu’un chauffeur de taxi et un étranger ont une dispute très animée. Sans hésitation elle dit à ses enfants de l’attendre dans la voiture, ferme la porte et marche vers la bataille. « Qu’est-ce qui se passe ici ? » demande t-elle. Le gringo explique que le taxi veut lui faire payer plus que le prix convenu à l’aéroport. Le chauffeur de taxi dit que le gringo refuse de payer le tarif normal de la course. Après avoir appris les deux montants, le sang de Maria ne fait qu’un tour et entre en ébullition. Elle hausse le ton : « Vous devriez avoir honte d’essayer d’abuser des étrangers. » Le taxi dirige sa colère contre elle et insiste qu’elle ne sait pas de quoi elle parle. Comme Maria hésite entre le gifler et lui rentrer dedans, un policier passe en moto. Elle l’interpelle et lui fait des signes. Le chauffeur saute dans son taxi et s’enfuit. « Par où est-ce que vous allez ? » demande t-elle à l’étranger avant de lui offrir de l’accompagner. L’homme est embarrassé mais Maria n’accepte aucun refus. Il y a assez de place à l’arrière de la voiture, avec ses deux plus jeunes enfants. Bientôt ils le déposent sur la Plaza Santo Domingo. Il offre de payer pour la course : elle le regarde avec un beau sourire, un froncement de sourcils, et un ferme « Non. » Le gringo s’éloigne, respire profondément et remercie l’Univers de lui avoir envoyé un ange.
Cédric, 6 mai 2012
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