Wilbert. Ses amis sont venus pour réparer le sèche-linge, mais il est juste venu pour les soutenir moralement. Je m’immisce dans la conversation au moment ou il fait une blague : le type qui a garé cette voiture avait dû boire un verre de trop hier soir. Je regarde la voiture – ma voiture – et me rends compte qu’elle est garée juste au bord d’un gros trou. Quelques centimètres de plus et il aurait pu y avoir un problème… mais c’était une simple erreur de jugement, pas besoin alcool pour çà. Je l’interromps : « Non, je n’ai rien bu hier soir ! » Wilbert continue à rire de bon cœur, sans paraître gêné par l’éventualité de m’avoir vexé. « Ah bon, c’est ta voiture ? Cool ! » Puis il nous raconte comment l’autre jour il a bu à lui seul une bouteille presque entière de Guaro… et il ne se souvient pas comment il est rentré chez lui. Je demande : « Le Guaro c’est fait à base de quoi ? » Wilbert réfléchit pendant quelques secondes puis répond : « N’importe quoi. Un peu de tout. On s’en fout. » La conversation se déplace vers le surf. Quand il réalise que je suis aussi un surfeur, il m’invite de suite à profiter des vagues avec lui le lendemain matin. Comme aucun de nous n’a de papier à portée de main, il s’empare de l’objet le plus proche – un balai – et inscrit son numéro de portable sur le manche en bois. Wilbert nous dit au revoir, saute sur sa moto et disparaît. Il me manque déjà !
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Manuel marche lentement vers notre voiture. Ses vêtements sont souillés de taches noires et son t-shirt, qui fut un jour blanc, est déchiré en plusieurs endroits. Nous sommes dans une station-service et après avoir fait le plein la voiture ne veut pas repartir. Même pas un bruit de démarreur, rien. Le personnel a refait le niveau d’huile et nettoyé les cosses de la batterie mais en fait ils ne savaient pas quoi faire, et moi non plus. Quand j’ai demandé où se trouvait le mécanicien le plus proche, ils ont haussé les épaules comme pour dire : « Mon pote, c’est dimanche. Reviens demain ! » Puis ils ont appelé Manuel à la rescousse. Il observe pendant que je tourne la clé dans le contact pour faire la démonstration du problème. Il se penche dans le cockpit, jette un coup d’œil sur la boîte de vitesses et dit : « Elle est en mode Parking, il faut la mettre en mode Neutre. » Je sais à présent que ce type est en train de me jouer du pipeau : je conduis des automatiques depuis que j’habite aux USA – çà fait maintenant 11 ans – et je n’ai jamais eu aucun problème pour démarrer en mode Parking. Mais comme je n’ai rien d’autre à suggérer je fais ce qu’il me dit, attendant secrètement de prouver à Manuel qu’il a tort. La voiture démarre.
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Paula est en train de boire goulûment de l’eau à même la bouteille quand je pointe mon nez dans le salon de coiffure et demande : « C’est ouvert ? » Elle déglutit, s’étouffe, tousse, et répond : « Oui, oui, entre ! » Ce n’est que le début de la saison touristique et il est possible que je sois son seul client pour la journée. Pendant qu’elle me coupe les cheveux j’ai l’occasion de pratiquer mon espagnol – une chose qui m’a manqué ces derniers jours où nous avons vécu dans des endroits assez reculés du Costa Rica, en contact très limité avec la civilisation. « Je ne sais pas comment les gringos font » dit Paula, « ils travaillent tout le temps, ils sont stressés, ils mangent de la merde, et après ils deviennent obèses et ils ont des crises cardiaques et du diabète. Et tout çà vaut la peine car ils gagnent beaucoup d’argent ? » Je ris et j’explique que c’est exactement pour cela que nous nous sommes échappés. Mai et moi nous évitons nos semblables comme la peste depuis le début de notre voyage en Amérique Centrale. Les gringos sont toujours soit en quête de quelque chose, soit à se plaindre de quelque chose, ils semblent incapables de simplement profiter du présent. Je me demandais comment les habitants locaux pouvaient supporter cela, et maintenant la vérité sort de la bouche de Paula : ils pensent juste que nous autres américains sommes « loco » – et ils ont sans doute raison. Bien que son boulot soit de couper les cheveux, Paula a voyagé de part le monde : elle parle portugais et a passé plusieurs années au Brésil – une expérience qu’elle a adoré. Elle a aussi visité la Californie il y a longtemps, et détesté Los Angeles parce qu’on ne peut marcher nulle part : il faut conduire partout. Je lui parle de San Francisco où la plupart des gens se déplacent à pied, en vélo ou en transports en commun. Après avoir fini ma coupe, Paula veut me rincer les cheveux mais pas une goutte d’eau ne sort du robinet. Un jeune homme se tient devant la boutique : elle lui demande de l’aide. Il se débat avec la tuyauterie pendant une minute puis l’eau se met à couler. Je plaisante avec le type et lui dis qu’il doit rester afin de s’assurer qu’il y a de l’eau pour le prochain client de Paula. Il rit et rétorque : « C’est moi son prochain client ! »
Cédric, 7 novembre 2011
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