Alors que nous entrons au Honduras pour un simple trajet de 2 heures entre le Salvador et le Nicaragua, les portes de l’enfer s’ouvrent et trois démons s’en échappent, humant l’air chaud et moite pour y trouver la trace de leur proie.
Le premier démon, l’agent Smith, nous intercepte immédiatement après le passage de frontière. Grande taille, épaules larges, cheveux courts, uniforme bleu, et un badge où l’on peut lire « Policía Nacional ». Bien que nous ayons déjà franchi les contrôles de douanes il veut voir un permis pour nos chiens ainsi que les papiers d’immatriculation américains de notre véhicule – que nous n’avons pas – sinon il ne nous laissera pas passer. « C’est la loi. » Notre facilitateur de paperasse me glisse dans l’oreille que la meilleure chose à faire est de donner quelques dollars. La réponse sort de ma bouche haut et fort: « Non. » Je plaide ma cause auprès de l’agent Smith mais il ne veut rien entendre. Il glisse mon permis de conduire dans sa poche et se met à l’ombre. Dans la demi-heure suivante je fais le nécessaire pour obtenir un permis canin puis je retourne vers Smith, le papier dans la main. Il le lit attentivement, examine le reçu pour les $14 de frais payés au ministère de l’agriculture. Silence. L’agent Smith me rend mon permis de conduire avec un regard rempli de haine : cet argent était sensé être son butin.
Le second démon, Gollum, opère avec a un partenaire. Tous deux portent un uniforme de la police routière. Taille moyenne, un visage rond, des petits yeux sombres et des dents pointues. Il insiste que nos chiens doivent être transportés dans des cages quand ils sont dans la voiture, me dresse un procès verbal et explique que je dois payer une amende de $100 à la banque qui se trouve dans la capitale (à 3 heures de route) afin de récupérer mon permis de conduire. Je me tourne vers son collègue pour essayer d’arranger les choses. De prime abord cette homme a l’air normal mais son visage n’exprime aucune émotion. Seuls ses yeux révèlent le feu de l’enfer qui brûle au plus profond de son âme. Aucun doute : il s’agit de Lucifer en personne. J’en ai marre des flics corrompus et des lois grotesques : je m’énerve et me mets à crier que personne de voudra jamais visiter le Honduras s’ils traitent les étrangers comme ça. Gollum sourit calmement : « C’est exact. Personne. » Ses yeux ouvrent une fenêtre vers une crevasse obscure qui n’a pas de fond. Lucifer s’éloigne et laisse son disciple donner le coup de grâce : tout peut s’arranger si je fais le don d’un peut d’argent « pour les frais d’essence de la brigade. » Je n’ai aucune idée pour me sortir de cette situation mais encore moins l’intention de céder au chantage. Sans que je puisse expliquer pourquoi, c’est devenu très important à mes yeux. J’attends à l’ombre, les bras croisés. Le temps passe, une éternité. Soudain Gollum saisit le P.V. et le froisse : « Va récupérer ton permis ! » Je rejoins Lucifer, interrompant ainsi sa tentative de faire pression sur Mai. Il me tend mon permis et s’en va. Je le remercie et m’avance pour lui serrer la main. Lucifer commence à faire de même mais il se reprend et s’arrête à mi-chemin. Nous poings se heurtent en douceur, comme au ralenti. Le combat est terminé. J’ai gagné.
Le troisième démon, Adolphe, est un tout petit flic routier avec une calvitie et une moustache. Comme je ne suis pas en mesure de montrer mes papiers d’immatriculation américains il me prépare un PV que je devrai payer à la banque dans la capitale pour récupérer mon permis de conduire. On connait la chanson. Un facilitateur de paperasse s’invite dans la conversation et prétend vouloir m’aider. Je chasse cette sangsue géante qui ne sert que son propre intérêt, et me retrouve seul avec Adolphe, tous deux cachés derrière un camion en stationnement. Toutes mes plaidoiries se fracassent sur un mur de silence. Je me rends à la voiture pour expliquer à Mai que la situation se présente mal, mais je n’ai aucune intention de graisser la patte à ce ripou. Je reviens vers Adolphe sans aucun plan, prêt pour la suite des évènements, quelle qu’elle soit. Je me sens vidé, épuisé ; je veux juste me réveiller de ce cauchemar. Adolphe brandit mon permis tout en le tenant fermement entre ses doigts. Il me regarde droit dans les yeux et me sermonne sur le respect de la loi… puis ses doigts se relâchent et libèrent le précieux document.
Comment interpréter ce qui est arrivé aujourd’hui ? Chacun de ces démons a décidé de ne pas nous faire de mal. Même s’il était évident que je n’allais pas payer de pot de vin, ils auraient quand même pu me verbaliser. Alors pourquoi ne l’ont-ils pas fait ? La chance serait une explication satisfaisante si cela s’était produit une fois, mais trois fois de suite ? Ce n’est pas une coïncidence.
Je crois qu’une force supérieure – l’Univers, le Destin, Dieu, le Karma, la Vie, peu importe comment on l’appelle – m’a mis à l’épreuve. Dans mon enfance j’ai été victime de brimades et j’ai abandonné la volonté de me défendre. Il y a quelques mois les arts martiaux ont changé ma vie et j’ai fait le vœu de redevenir le guerrier qui a toujours été au fond de moi. Ces démons m’ont donné une chance de prouver que mon esprit est vraiment indomptable ; que je suis prêt à me battre pour ce qui est juste.
J’ai passé l’épreuve.
Cédric, 10 octobre 2011
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