Après 11 années passées aux États-Unis sous des statuts différents, je suis sur le point de devenir un citoyen américain. J’ai bien été content de recevoir ma convocation pour la cérémonie de naturalisation, mais jusqu’à présent cette démarche est restée très conceptuelle. J’ai été surpris que Mai se soit fâchée la nuit dernière parce que je ne lui avais pas rappelé la date de la cérémonie à temps pour qu’elle puisse se libérer. J’ai haussé les épaules: «Je t’ai dit la date quand j’ai reçu la lettre le mois dernier » … mais elle semblait vraiment blessée et déçue. Je ne comprends pas pourquoi – je suis juste un des milliers de gens qui vont lever la main devant le drapeau américain et prêter serment. Rien d’extraordinaire. Oups, je ferais mieux y aller si je veux être à l’heure. J’avale mon petit déjeuner et je pars.
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En arrivant au siège qui m’est attribué je commence à réaliser que je n’ai jamais pris part à une cérémonie qui implique tant de gens. Ma promotion d’école d’ingénieur avait seulement quarante étudiants. Je regarde autour de moi dans ce grand théâtre, et je suis frappé par l’efficacité du processus, alors que les futurs citoyens américains sont conduits à leur place. Quelques libres penseurs essayent de contourner les règles, mais les « ouvreurs » leur demandent fermement de revenir à leur place: ils leur expliquent que les certificats de naturalisation nous seront remis à la fin de la cérémonie, et que ceux qui ne sont pas assis au bon endroit n’auront pas leur certificat. Ce serait dommage! Alors que les quelques contestataires bougonnent mais rejoignent la zone qui leur est assignée, une vieille dame prend le siège à côté de moi. Elle est russe et très heureuse d’apprendre que je suis Français … comme beaucoup de russes de sa génération, elle parle très bien français – une réminiscence de l’époque d’avant la révolution d’Octobre.
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La salle est pleine, les lumières sont éteintes. Notre hôte commence son discours en nous souhaitant la bienvenue très chaleureusement. Puis il dit: «Hola» … et fait un discours similaire en espagnol. Je suis très impressionné par les compétences linguistiques de ce gars. Il obtient des applaudissements bien mérités. Après une courte hésitation je reconnais les quelques mots qui s’ensuivent : du chinois! L’incrédulité et le silence de la foule font rapidement place à une fureur d’applaudissements. A suivre : l’allemand, le français, l’italien, l’indien, le russe (rires de ma voisine – notre hôte fait de bonnes blagues ou des erreurs embarrassantes), le portugais et même le tagalog. Aucun de nous ne s’attendait à ce que l’agent des services de l’immigration fasse son discours de bienvenue en 10 langues. Cette cérémonie s’avère intéressante!
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Un documentaire. Ils nous ont réunis à mille dans un théâtre pour nous montrer un documentaire à la noix que nous pourrions avoir regardé sur Internet. « C’est l’heure de la sieste», dit mon esprit sarcastique.
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Après cinq minutes de documentaire: les images montrent des générations d’immigrants. Certains sont venus pour les chances de succès, certains pour échapper à des régimes violents, certains afin d’obtenir une vie meilleure pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Réfugiés de guerre. Vieux. Jeunes. Enfants. Bébés. Ces personnes ont quitté leur vie et ont trouvé aux États-Unis une terre qui est devenue la leur. L’immigration est un patchwork infini d’histoires individuelles, et chacune d’elles est unique. La tristesse et l’espoir. La perte et la reconstruction. Le sacrifice et les opportunités. La liberté. Liberté d’être qui l’on est. Liberté de construire sa vie comme on le souhaite. Liberté de se définir par ce qu’on fait – et non par d’où l’on vient. Des larmes coulent dans le noir …
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Le rituel est simple: lorsque ton pays d’origine est nommé, tu te lèves. Après que les Mexicains, les Chinois et les Indiens y soient passés il est difficile de distinguer qui est toujours assis, mais il y a des douzaines d’autres pays représentés aujourd’hui. Quelques compatriotes se lèvent avec moi pour la France. Les italiens sont peu nombreux mais très bruyants. Il s’agit vraiment d’une fête: les gens applaudissent, sifflent, crient et chantent. La salle entière rayonne d’énergie positive – mille longueurs d’onde différentes sont en train de se synchroniser.
Vers la fin de la liste, ma voisine russe émet un son qui ressemble à «tss tss» alors qu’un immigrant solitaire se lève pour l’URSS, un pays qui est apparu et a disparu pendant la durée de sa vie. L’histoire de cette femme doit être fascinante.
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Nous avons tous la main droite levée et nous répétons le serment d’allégeance, tournés vers le drapeau américain. Juste quelques mots, simples mais puissants. Plus d’un millier d’âmes sont entrées dans cette salle en tant que citoyens d’une centaine de pays différents, et par un coup de baguette magique, nous voila devenus citoyens des États-Unis. Je peux presque palper l’émotion autour de moi. Les têtes sont relevées, les visages sont souriants, les yeux sont humides. « We the people… ».
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En marchant jusqu’à la voiture avec mon certificat de naturalisation à la main, je comprends pourquoi Mai voulait se joindre à moi aujourd’hui. Ce n’est pas seulement une étape dans un processus, c’est une expérience qui n ‘arrive qu’une fois dans une vie, un tour de montagnes russes fort en émotions qui me laisse abasourdi. Je me sens épuisé mais je ne veux célébrer l’événement – mon premier repas en tant que citoyen américain sera un hamburger avec des frites!
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Epilogue: Quelques semaines plus tard je reçois mon nouveau passeport américain. Il est vraiment beau. Je regarde d’un peu plus près… Date de naissance: 1919. Je fais si jeune pour mon âge!
Cédric, 20 mai 2011
(Citoyen américain depuis Février 2011)
Vraiment bien conservé pour 92 ans!!